Séries Ghino

 La correspondance de Ghino peut se lire comme l’un des rares cas de relation épistolaire entretenue par un Siennois avec Francesco Datini et son réseau d’affaires, en dehors des trois facteurs qui firent partie de ce réseau (Andrea di Bartolomeo et les frères Piero et Ambrogio di messer Lorenzo de’ Rocchi). Elle ne constitue en fait qu’un prolongement de celle, plus fournie, de son frère Andrea, facteur puis associé de l’agence Datini d’Avignon (1382-1390)¹. Elle illustre donc, jusque dans ses dérivations secondaires (l’oncle Battista d’Andrea Bernardi² et la compagnie de Bindo Tucci), le fonctionnement des réseaux commerciaux au sein desquels tout nouveau contact met en communication des réseaux personnels, facilitant ainsi l’obtention d’informations, le montage d’opérations dans d’autres secteurs ou sur d’autres places et le recrutement éventuel de nouveaux acteurs dans une entreprise.

 Ghino naît vers la fin des années 1350, 16 mois après son frère Andrea³. Il perd son père à l’âge de trois mois (501582). Leur mère Caterina les élève sous la supervision de leur oncle maternel Battista d’Andrea Bernardi⁴. La famille vit à Sienne dans la rue appelée Casato di Sotto et possède quelques terres hors de la ville, gérées par Ghino après le départ d’Andrea, puis par leur mère, mais qui nécessitent aussi la venue d’Andrea en 1384-1385⁵. Après la disparition de leur mère entre 1392 et 1410, les deux frères restent encore à cette dernière date sous le régime de l’indivision⁶. On observe cette imbrication d’intérêts notamment à travers des avances de liquidités consenties entre eux pour monter leurs investissements personnels, ce qui incite Ghino à s’impliquer dans la relance de débiteurs de son frère, comme la succession de Nofri di Puccio Monachini⁷. Battista d’Andrea s’emploie pour sa part à recouvrer des créances d’Andrea à Sienne et à assurer pour lui des paiements⁸. Mais leurs relations peuvent aussi prendre à certains moments un tour plus décousu avec d’assez longues interruptions de contacts⁹ ; il en va de même entre Andrea et sa mère¹⁰.

 Ghino travaille d’abord pour le marchand siennois Bindo Tucci, « uno richo uomo di nostra terra » comme le définit Andrea¹¹, alternativement à Sienne (avril-juin et novembre-décembre 1383) et à Brescia (août-octobre et décembre 1383 et peut-être au-delà, vers novembre 1384, janvier 1385). Il passe ensuite plus d’un an et demi à Sienne, pense à un moment monter à Brescia une agence rivale de la compagnie Tucci avec le soutien financier de Francesco ou d’autres relations¹², avant d’être envoyé à Venise par un autre compatriote, Mariano di Sozzino¹³. Il passe à nouveau près d’un semestre à Sienne vers l’été et l’automne 1388 et des négociations entamées avec la compagnie lucquoise des Guinigi lui font alors espérer un poste bien rémunéré à Rome¹⁴, mais c’est finalement à Londres qu’il travaille pour eux, au moins du printemps 1389 à l’été 1391¹⁵.

 Le contact de Ghino avec le réseau Datini s’établit ainsi un peu plus d’un an après le recrutement d’Andrea en février 1382 et s’interrompt à l’époque où le désaccord d’Andrea avec ses associés de la compagnie d’Avignon incite celui-ci à monter avec un autre partenaire une boutique rivale sur la place provençale. Pendant ces quelques années Andrea constitue la source des principaux contacts de Francesco Datini avec le territoire siennois¹⁶, où peuvent être commercialisées des marchandises importées par l’aire portuaire pisane et qui peut expédier en retour divers produits comme du fer ou du lin, mais aussi avec Brescia qui envoie vers la Toscane des lingots d’acier et en reçoit en retour de la laine à travailler pour son industrie drapière.

 Diverses compagnies florentines établies à Pise semblent ainsi intéressées, tout comme la compagnie Bindo Tucci, à faire venir des cuirs à Sienne¹⁷. Certaines y envoient aussi des marchandises relevant du secteur des « épices », comme le sucre et la cire¹⁸. Il est également question d’expéditions de laines¹⁹. En sens inverse ces compagnies souhaitent faire venir du territoire siennois du safran²⁰, des cendres destinées à la fabrication de savon²¹, du lin²² et des toiles de Pérouse²³. Mais ce sont surtout les métaux ferreux produits dans le territoire siennois qui intéressent les Florentins. Francesco et ses agents se font ainsi envoyer des échantillons de fer siennois dans la perspective d’en importer à Prato et à Pise²⁴ et reçoivent un lot de 2000 livres de ce métal à la fin de l’été 1386²⁵. Parallèlement la présence de Ghino à Brescia incite Francesco à se renseigner sur l’acier produit dans cette région alpine. Quelques échantillons en sont envoyés à Pise²⁶, mais ce n’est qu’à l’été 1385, au moment où Ghino quitte la compagnie Bindo Tucci, que Francesco paraît décidé à en commander. Ces expéditions prendront en fait un tour plus régulier lorsqu’un autre Florentin, Lorenzo d’Andrea Ciampelli, séjournera lui-même à Brescia, dans les années 1390 et engagera une nouvelle collaboration avec la compagnie Datini de Pise²⁷. Enfin la compagnie de Bindo Tucci espère un temps trouver en la compagnie Datini de Pise un importateur d’articles de l’artisanat de luxe parisien²⁸, mais le réseau Datini ne semble pas avoir beaucoup commercialisé ces produits au-delà du comptoir d’Avignon.

 Les collaborations entre ces compagnies florentines et siennoises prennent généralement la forme de rapports de commanditaire à commissionnaire, mais des opérations sont parfois envisagées sur la base d’un financement et d’un profit communs²⁹.

  Les séries présentées ici comprennent l’intégralité des lettres personnelles de Ghino et de Battista d’Andrea, en son nom et celui de sa compagnie, ainsi qu’un certain nombre de celles que Ghino écrit pour la compagnie Bindo Tucci, avec d’autres peut-être écrites par d’autres facteurs. La proximité des mains de Ghino et d’un autre facteur, Giovanni di Conte³⁰, rend en effet parfois délicate l’identification de la graphie.